Les multiples visages du sauvignon chilien

Les multiples visages du sauvignon chilien

Jusqu’à la fin des années 80, les vins blancs chiliens étaient loin derrière les rouges. Généralement élaborés dans un style oxydatif et concentré à partir du cépage sémillon, ils étaient presque toujours de pauvres versions des ‘finos’ ou ‘manzanillas’ de Xérès.

Les choses ont cependant beaucoup changé ces dernières années et ce sont peut-être les blancs qui illustrent le mieux ces changements. A ces imitations du ‘Sherry’ a succédé la découverte de la Vallée de Casablanca, la première vallée ‘froide’ dans l’histoire moderne du vin chilien. Le chardonnay fut le premier cépage planté, des vagues et des vagues de chardonnay qui visaient à étancher une soif mondiale pour un cépage qui a envahi le marché dans les années 90. Le sauvignon a été la deuxième variété plantée, marquant le début des choses sérieuses.Jusqu’au début des années 80, la plupart des ceps qualifiés de sauvignon blanc par les Chiliens étaient en réalité du sauvignon vert ou sauvignonasse, une ancienne variété bordelaise. En 1978, Pablo Morandé, œnologue chilien reconnu et à cette époque-là propriétaire d’une importante pépinière au Chili, aujourd’hui propriétaire de Bodegas Re, fut l’un des premiers à importer du matériel végétal – depuis l’Université de Californie à Davis – et à le cloner.Dans le cadre de ses recherches et avec la volonté de diversifier et de mettre à jour l’offre proposée par sa pépinière, Morandé a importé le Clone 1, très à la mode à cette époque-là grâce aux résultats engrangés par le secteur vitivinicole en Nouvelle Zélande. Les différences se sont vite fait remarquer.

« Nous nous sommes rendu compte que le nouveau matériel cloné était de maturation beaucoup plus tardive, au moins d’un mois. L’acidité était plus prononcée, les arômes étaient plus fruités avec moins d’oignon et le vin conservait sa fraîcheur plus longtemps », se souvient Morandé qui a planté son nouveau matériel végétal à Casablanca.

L’émergence de la vallée de Casablanca

Que Morandé ait choisi de le planter à Casablanca n’était pas le fruit du hasard. Aujourd’hui, la plupart des meilleurs sauvignons blancs chiliens sont nés sous l’influence fraîche de l’Océan Pacifique. Mais vers 1982 – lorsque les premières plantations de vignes ont débuté à Casablanca – tous les vins provenaient des zones plus chaudes et moins humides situées vers l’intérieur du pays où la maturation était plus lente. Même si beaucoup l’ont qualifié de fou pour tenter d’implanter la vigne dans un lieu si près de la mer – à environ 40km, distance considérée aujourd’hui comme étant plutôt lointaine – l’œnologue était convaincu que, pour obtenir la fraîcheur des arômes et l’acidité qu’il avait imaginées, il avait besoin de la influence fraîche du Pacifique. Son idée s’est avérée.

Néanmoins, si Morandé a joué un rôle moteur, en introduisant le bon matériel et en l’implantant au bon endroit, l’œnologue Ignacio Recabarren a également contribué de manière significative à démontrer le potentiel du cépage dans ce pays, notamment sur les côtes chiliennes. Inspiré par l’impact du sauvignon en Nouvelle Zélande, Recabarren s’est rendu dans ce pays en 1990 pour le connaître plus en profondeur. De retour au Chili en 1991, il a lancé un projet à Viña Casablanca, une filière de Santa Carolina.Devenu obnubilé par le sauvignon blanc, Recabarren a acheté des raisins issus d’El Ensueño, le nouveau vignoble de Morandé planté avec le Clone 1, pour élaborer son premier sauvignon à Viña Casablanca. Et voici comment l’histoire a commencé. De manière intuitive, Pablo Morandé était persuadé que le sauvignon blanc était une belle carte à jouer pour Casablanca, une vallée à climat froid grâce à l’influence du Courant de Humboldt qui arrose les côtes chiliennes. Ignacio Recabarren a été chargé de démontrer sur le terrain que cette intuition était fondée.

Une nouvelle génération de producteurs – Casas del Bosque, Veramonte, Villard – a suivi l’exemple de Recabarren et Morandé et a commencé à expérimenter avec le cépage à Casablanca. Dans le même temps, les vignes de sauvignonasse ont été peu à peu remplacées par le matériel cloné importé depuis l’Université de Californie à Davis et diverses pépinières françaises. D’une poignée d’hectares de sauvignon blanc plantés par Morandé à Casablanca, la vallée en compte 2 380 hectares aujourd’hui, plus d’un tiers de la superficie totale de cépages blancs dans la vallée. Bien qu’en nombre, l’équipe de bons producteurs de sauvignons à Casablanca est le plus important du pays, il n’a pas l’exclusivité de la variété. San Antonio, une autre vallée située un peu plus au sud et plus près de la côte, a aussi beaucoup à dire à ce sujet.

San Antonio et Leyda emboîtent le pas à Casablanca

San Antonio est plus jeune. Les premières plantations dans la vallée datent de 1998 et son émergence sur la scène locale date à peine de 2003, avec les premiers vins de domaines tels que Viña Leyda, Garcés Silva, Matetic et Casa Marín, le quartette magique de San Antonio. Vers 2006, commencent à apparaître des cuvées provenant d’autres domaines qui ont acheté des raisins auprès d’autres producteurs de la vallée, notamment dans la sous-zone de Leyda, jusqu’à aujourd’hui la plus peuplée de San Antonio et celle qui, de toute évidence, a réveillé l’appétit de bon nombre des principaux acteurs du vin au Chili : Santa Rita, Undurraga, Anakena ou MontGras, entre autres.

En termes de profil gustatif, les différences entre les sauvignons des deux vallées ne sont pas très claires aujourd’hui. En principe, on entend beaucoup dire que San Antonio et sa proximité à l’Océan Pacifique donnent à ses sauvignons un côté beaucoup plus frais et végétal, tandis qu’à Casablanca les notes rappellent davantage les fruits blancs mûrs et même exotiques. Toutefois, et comme toujours dans le monde du vin, les généralisations sont risquées. Comment généraliser, par exemple, sachant qu’il y a une telle diversité de sols et de climats ? D’une manière approximative, le binôme végétal-fruits exotiques peut bien fonctionner, mais à mi-chemin sur la route du sauvignon le long de la côte chilienne vous allez vous-même vous rendre compte que les différences sont beaucoup plus profondes. Un autre détail dont il faut tenir compte a trait au matériel cloné importé qui, bien évidemment, a eu un impact sur la diversité du sauvignon, tant à Casablanca qu’à San Antonio. Sans entrer dans le détail des chiffres sur les clones ni leurs caractéristiques – fortement variables selon les sols ou les méso climats où le matériel a été planté – il suffit d’indiquer qu’aujourd’hui à Casablanca il existe une dizaine de clones de sauvignon. Ainsi, rien qu’au niveau du matériel génétique, il existe au moins dix sauvignons dans la région.

Pour compliquer un peu plus les choses, à tout ce que l’on vient de mentionner, il convient d’ajouter la diversité de sols – granitiques, argileux et sablonneux principalement – de même que les méso climats qui s’étendent du ‘Haut Casablanca’, la zone la plus chaude et loin du Pacifique, jusqu’au ‘Bas Casablanca’, la zone la plus fraîche. Au vu des méso climats de Leyda et Lo Abarca (ce dernier situé à 4 km de la mer), qui n’ont que peu de points communs, on peut facilement dire que le terme ‘sauvignon côtier’ se réfère en réalité à un ensemble composé de plusieurs individus, une grande famille unie par une même racine, mais à la personnalité très distincte.

En quête d’altitude

A dire vrai, il n’existe pas que le ‘sauvignon côtier’. La quête d’autres zones fraîches a amené les producteurs en direction d’altitudes plus élevées, vers la Cordillère des Andes, où les brises provenant de la montagne retardent la maturation des raisins tout en conservant l’acidité, élement primordial du caractère du sauvignon blanc. Le travail de l’œnologue Rafael Tirado en face du lac Colbún dans la Vallée du Maule, à environ 50km au sud de Casablanca et au pied des Andes, en fournit la meilleure illustration. Le fruit de ce travail se prénomme Laberinto. Les vignobles appartenant à Tirado – ancien œnologue de la bodega Veramonte, l’un des pionniers à Casablanca – se trouvent à 600m d’altitude, une hauteur considérable dans le contexte du vin chilien. Il s’agit d’un petit projet familial produisant à peine quelque 25 000 bouteilles par an qui proviennent de 18 hectares plantés vers 1993 ; le sauvignon représente six d’entre eux.

D’après Tirado, le caractère du sauvignon de Laberinto est déterminé par le sol volcanique et la présence continue de brises fraîches descendant des Andes. « A la différence d’autres endroits plus chauds et plus froids, je pense que dans ces conditions la maturité progresse toujours très lentement et doucement, mais ne s’arrête pas lorsque les températures atteignent des niveaux très bas ou très hauts pendant la journée. Lorsque cela se produit, je trouve qu’il y a une importante perte d’acidité et de minéralité », affirme Tirado.

Cenizas del Laberinto, le seul sauvignon élaboré par Laberinto à partir des rives de Colbún, ressemble peu aux sauvignons côtiers ou plutôt au sauvignon générique issu de la Côte centrale chilienne, avec son exubérance, sa fraîcheur et sa richesse en arômes. Au contraire, Cenizas semble beaucoup plus austère, plus concentré dans son acidité et sa structure. Ce caractère distinct souligne parfaitement que, tant bien même que la notoriété du sauvignon blanc en tant que catégorie de vins du Nouveau Monde se développe sur le marché international, parler d’un seul sauvignon chilien revient à trop généraliser la réalité. Même avec une histoire courte, la diversité du territoire chilien peut assurer un grand éventail d’expressions à ce cépage.

*Patricio Tapia a obtenu une licence en journalisme à l’Universidad de Chile à Santiago, avant d’étudier à l’Université de Bordeaux en France où il a suivi une formation diplômante en dégustation et en œnologie. A l’heure actuelle, il est critique en vins et spiritueux spécialisé dans les vins argentins, chiliens et espagnols et écrit régulièrement sur les vins argentins dans les colonnes du magazine Decanter à Londres. Il est également l’auteur du guide annuel Descorchados consacré aux vins argentins, chiliens et uruguayens et publié en espagnol et en anglais.

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